Mixité et égalité dans les politiques jeunesse : l'expérience de la ville d’Aubervilliers

Yéléna PERRET, Chargée de mission auprès du Directeur Général des Services à Aubervilliers

Présentation powerpoint de Y. Perret

Contexte local et panorama des actions menées autour de la place des femmes dans l'espace public

La ville d'Aubervilliers s'est engagée depuis une vingtaine d'années sur la question de la place des femmes dans l'espace public. Une délégation a ainsi été créée en 2005, puis un Plan de promotion des droits des femmes a été élaboré en 2011, à la suite d'un diagnostic territoire.

Les deux derniers objectifs de ce plan nous intéressent particulièrement aujourd'hui, puisqu'ils concernent l'égalité filles / garçons dans le domaine éducatif et l'égalité femmes / hommes dans la sphère publique locale. Afin d'atteindre les objectifs prévus, quatre différents types d'action ont été réalisés dans le cadre de ce plan.

Le premier type d'action vise la sensibilisation des publics grâce à des événements, aussi bien ponctuels que récurrents. En particulier, la ville d'Aubervilliers déploie une politique forte de communication, notamment en féminisant les noms de rues. Parmi les initiatives ponctuelles, nous pouvons citer l'organisation de promenades valorisant le matrimoine urbain.

Un deuxième type d'action concerne des approches spécifiques, c'est-à-dire des projets menés en direction de certains groupes de femmes, dans une optique de remédiation aux inégalités constatées. Relevons ainsi l'organisation de marches exploratoires, la mise en place d'un atelier d'autodéfense, ou encore la conception, par un groupe d'habitantes, d'une exposition autour des femmes ayant donné leur nom à certaines rues et bâtiments de la ville.

Un troisième type d'action repose sur la coopération avec le tissu associatif, très présent dans la ville, mais également avec des regroupements plus informels de femmes.

Enfin, le quatrième et dernier volet d'action consiste à déployer une approche intégrée de l'égalité. Toute politique se voulant égalitaire doit intégrer, dès ses prémices, la question du genre et de la lutte contre le sexisme, afin de ne pas se borner à remédier aux inégalités lorsque celles-ci sont déjà installées. C'est pourquoi il importe, en amont, de communiquer avec les partenaires afin qu'ils s'emparent de ces problématiques et reconnaissent des besoins spécifiques.

Un exemple de mise en œuvre de l'approche intégrée : la recherche-action Mixité et Égalité dans les politiques jeunesses

La recherche-action Mixité et Égalité s'est fixée pour double objectif de recueillir des données quantitatives et qualitatives concernant la mixité dans les politiques jeunesses, afin d'objectiver le ressenti des habitants. Cette action a couvert un périmètre très large, regroupant l'ensemble des structures, équipements, activités et sorties proposés par la ville, à destination des habitants âgés de 10 à 18 ans.

La genèse : un contexte favorable

La recherche-action Mixité et Égalité s'est déployée dans un contexte local favorable à plusieurs égards.

Tout d'abord, le diagnostic de l'existence d'inégalités filles / garçons était partagé par les différents acteurs, ce qui a permis la définition de priorités communes. De plus, il existait déjà un réseau d'actrices et d'acteurs engagés sur ces problématiques et porteurs de projets.

La recherche-action a en outre bénéficié d'un portage administratif, soutenu à la fois par la Maire d’Aubervilliers et par les élus de secteur ; et d'un portage politique volontariste, avec par exemple la nomination d'une chargée de mission. L'agenda médiatique et local a également été favorable au projet, puisque des questionnements liés à la place des femmes dans l'espace public ont émergé dans le débat public.

Enfin, en termes de budget, le projet a bénéficié d'une opportunité financière municipale, ainsi que du levier institutionnel du CGET (Commissariat général à l'égalité des territoires).

En somme, ce contexte favorable était le fruit d'un investissement au long cours des politiques publiques sur les problématiques liées à la mixité et à l'égalité dans la ville.

La nécessité d'un argumentaire

Néanmoins, en dépit ce contexte favorable, il a été nécessaire de développer un argumentaire face à certaines oppositions récurrentes. Parmi celles-ci, nous pouvons citer deux types d'arguments : d'une part le fait que les politiques de la ville n'établissent aucune différence entre les filles et les garçons et d'autre part l'idée selon laquelle ce sont les jeunes qui choisissent eux-mêmes le type de loisirs qu'ils souhaitent pratiquer.

Pour contrer ces oppositions, les données objectives recueillies par la recherche-action se sont avérées précieuses. Nous avions d'ailleurs fait le choix d'externaliser la commande du rapport, ce qui a conféré davantage de légitimité aux résultats. Ainsi, le rapport a pu mettre en lumière des dynamiques inégalitaires et déconstruire une forme d'évidence dans l'appréhension de la mixité.

Dès lors, il a été possible d'établir un lien entre inégalité d'accès aux loisirs et impératif d'une égale redistribution. Cette problématique, essentielle au bien-fondé des politiques publiques, touche particulièrement les élus. En outre, nous avons souligné le fait que, si les politiques publiques ne peuvent pas décréter un changement de mentalité, elles peuvent en revanche mettre en place des leviers d'action.

Les résultats

La recherche-action Mixité et Égalité a apporté de nettes améliorations concernant le degré de mixité dans le secteur des loisirs jeunesse à Aubervilliers. Une dynamique positive est impulsée, tandis que des groupes porteurs de filles se sont constitués.

Néanmoins, le différentiel reste important en faveur des garçons, aussi bien en termes de fréquentation que d'attribution du budget. De plus, les activités de loisirs demeurent fortement stéréotypées, avec d'un côté des filles qui s'orientent majoritairement vers la culture et la danse, et de l'autre des garçons allant vers des activités sportives et de prévention.

Enfin, nous avons relevé une forte influence de la taille des équipements sur la mixité, celle-ci étant plus facile à instaurer dans des structures vastes.

Chris BLACHE

En effet, cette question de l'espace est fondamentale. Pour créer de la mixité, il est intéressant de privilégier des actions en mode projet, au détriment d'un mode accueil qui attire en priorité les garçons. Or, cela suppose de disposer de structures suffisamment grandes.

Analyses et recommandations

La recherche-action Mixité et Égalité a permis de formuler un certain nombre de recommandations en faveur de la mixité. Ainsi, poursuivre l'objectivation des inégalités, former les acteurs et actrices des loisirs jeunesse, sensibiliser les jeunes, mettre en place des projets spécifiques et des actions proactives constituent des leviers fondamentaux.

Plusieurs pistes de réflexion ont également été ouvertes par cette recherche-action. Ainsi, nous nous faisons l'écho d'une demande, formulée par les habitantes, pour des lieux et des temps non-mixtes. La question de la non-mixité comme outil d'_empowerment _mérite d'être posée.

En outre, il faut se montrer vigilants face à une mixité qui se résumerait à de la co-présence, pour encourager constamment une mixité de relation.

De plus, il convient de s'interroger sur le statut conféré à la mixité dans les politiques publiques. Celle-ci apparaît parfois envisagée comme un moyen davantage que comme une fin, par exemple lorsque la présence accrue des femmes dans l'espace public est souhaitée dans une optique de pacification sociale.

Enfin, tout au long de la mise en œuvre de la recherche-action, nous avons pu nous appuyer sur certains leviers. J'en ai déjà évoqué un certain nombre en décrivant le contexte local favorable de la ville d'Aubervilliers. À cela s'ajoute une méthodologie de projet efficace, incluant notamment un calendrier et des objectifs partagés entre les différents acteurs, et une organisation structurée en interne.

À l'inverse, parmi les écueils à éviter, il s'avère nécessaire de réfléchir à une structure de projet qui ne repose pas uniquement sur le pilotage de certains postes. En outre, la méconnaissance ou la résistance de certains professionnels a constitué un frein important.

Par ailleurs, le cadre de cette recherche-action avait été défini de manière trop large, nécessitant un recentrage sur certaines structures et actions. Le mode de financement annuel a également constitué une difficulté, ainsi que le manque de moyens et de locaux. Nous avons de plus été confrontés à la difficulté de recruter de manière paritaire et de limiter le _turnover _des équipes. Le manque d'outils et de données préexistantes a limité certaines perspectives. Enfin, le fait d'intervenir sur un tissu associatif implique, en tant que collectivité, une faible prise sur ce terrain.

Pour remédier à ces freins, plusieurs demandes peuvent être formulées. Tout d'abord, il s'agirait de systématiser la possibilité d'un financement trisannuel pour ce type de projet. En outre, il est essentiel de bénéficier d'un portage politique fort, à tous les niveaux de collectivités. Enfin, l'égalité filles / garçons trouvant ses racines dans l'éducation, il serait intéressant de proposer une formation initiale aux professionnels de l’éducation sur cette question.

Échanges avec la salle

Bérengère RUBAT DU MERAC, Chargée de mission pour les droits des femmes et la lutte contre les discriminations, Ville de Gennevilliers

À Gennevilliers, nous avons constaté que les animateurs permanents sont en majorité des hommes, tandis que les vacataires comportent plus de femmes. Ainsi, le _turnover _féminin est plus important, ce qui amène à se demander comment faire vivre la mixité au sein des équipes d'animation. Rencontrez-vous des difficultés similaires, dans le cadre des politiques jeunesse d'Aubervilliers ?

Yéléna PERRET

Effectivement, la mixité des équipes faisait partie des données étudiées par la recherche-action à Aubervilliers. Un important _turnover _des effectifs féminins est apparu, ainsi qu'une surreprésentation des hommes aux postes de direction.

Chris BLACHE

Dans le cas d'Aubervilliers, il est toutefois intéressant d'étudier la progression de la mixité dans les équipes d'encadrants. Il y a quelques années, l'OMJA (Office Municipal de la Jeunesse d'Aubervilliers) était une association animée par des hommes, pour des hommes. À la suite d'une décision politique proactive, la parité de l'équipe non-managériale a été imposée, avec 40 % hommes et 60 % de femmes. Ce réajustement a alors rendu l'association beaucoup plus attractive pour les filles, notamment parce que les parents se montrent plus enclins à autoriser les jeunes filles à fréquenter un centre dont le personnel est mixte.

En outre, l'OMJA a également transformé son mode d'intervention privilégié, en passant d'un mode accueil à un mode action. Dans un premier temps, des activités fortement stéréotypées, comme la danse, ont été proposées afin d'attirer les filles dans un cadre non-mixte. À la suite de cette première impulsion, des activités moins normatives, telles que des ateliers vidéo, ont été mises en place.

Par ailleurs, la problématique de la mixité des équipes rejoint une difficulté majeure à recruter des éducatrices de rue. Ces encadrants sont en effet souvent eux-mêmes issus du terrain et tendent à reproduire les stéréotypes sexistes qui y ont cours. En tant qu'observateur extérieur, il nous est difficile de déconstruire ces réflexes.

Charlotte GROPPO

Je signale l'existence d'un outil de formation sur l'égalité femmes /hommes, fourni par le CNFPT, à destination des animateurs jeunesse. Actuellement, la Mairie de Nanterre forme l'ensemble de ses animateurs grâce à cet outil.

Paul DAULNY

Le Centre Hubertine Auclert propose également son propre module de formation sur cette thématique.

Remy LE FLOCH, Coordinateur à l'égalité femmes / hommes pour la Ville de Lyon

Une recherche-action a été menée à Lyon en 2013 sur la place des femmes dans les espaces publics. À cette occasion, les services de la ville ont proposé des ateliers aux structures socio-éducatives, les amenant à interroger leur stratégie de communication. En effet, des réajustements simples, mais parfois négligés, peuvent améliorer nettement la capacité d'attraction de certaines activités. Ainsi, une activité cuisine a pu attirer davantage de garçons grâce à une communication plus pertinente.

Cette recherche-action a aussi suscité un questionnement sur la place des jeunes hommes dans le domaine des loisirs. Il ressort en effet que le regard posé sur eux par les politiques publiques tend à en faire des individus à contrôler et à surveiller. Les garçons le ressentent comme une volonté de se protéger d'eux et font état d'un sentiment d'enfermement.

Enfin, de nombreuses structures ont rapporté avoir été interpellées par des jeunes filles souhaitant pratiquer des activités en non-mixité.

Yéléna PERRET

Je souhaite revenir sur la question des financements. La recherche-action à Aubervilliers a pu être menée grâce au financement de la ville, obtenu notamment par la situation de certains quartiers en zone prioritaire. Pourtant, il ne s'agit pas de croire que les enjeux liés à la mixité doivent être travaillés exclusivement dans ce type de quartiers prioritaires.

Chris BLACHE

Au sein de Genre et Ville, nous nous interrogeons sur la dimension éthique du financement de nos actions. En effet, celles-ci visent à promouvoir l'égalité sur l'ensemble du territoire mais elles sont pourtant financées par des budgets initialement destinés à des politiques locales spécifiques, de ville ou de quartier. C'est pourquoi Genre et Ville cherche d'une part à ventiler ses finances et d'autre part à élargir ses interventions à d'autres types de quartiers, au-delà des zones prioritaires.

Édith MARUÉJOULS

En effet, il s'agit de définir une posture professionnelle sur la question du budget intégré.

Je reviens sur la thématique de la mixité dans les équipes encadrantes, fondamentale en termes d'image. À l'heure actuelle, nous rencontrons des difficultés à déconstruire le stéréotype qui veut que les femmes interviennent durant la petite enfance, tandis qu'à l'adolescence, ce sont les hommes qui parlent aux jeunes.