Faciliter la prise en charge des femmes victimes de violences : la piste de l'itinérance dans les Yvelines


Frédérique MARTZ, Co-fondatrice et directrice de Women Safe

Les prises de parole précédentes sont d’autant plus intéressantes qu’elles permettent la comparaison avec les Yvelines, un territoire de ruralité lui aussi, mais avec une politique différente. En particulier, dans ce département, le Conseil départemental est totalement absent d’un point de vue du financement des associations.

L’association Women Safe regroupe dans un même lieu des services et des ressources à destination des femmes victimes de violences, dans un contexte sécurisé et anonyme. Le lieu est implanté dans l’enceinte de l’hôpital de Saint-Germain-en-Laye afin de mettre l’accent sur la santé des femmes. Il réunit des médecins (dont des spécialistes sur l’excision), des juristes, des avocats, des psychologues et des infirmières.

La problématique des professionnels est de réussir à partager leurs informations pour être plus efficaces. Malheureusement, au départ, à cause des fameux secret médical et secret de l’avocat, le dialogue entre professionnels était pour le moins délicatà mettre en place. Après quelques années d’existence, tous les professionnels ont enfin compris qu’il fallait briser ce secret afin de pouvoir traiter les dossiers ensemble.

La permanence reçoit évidemment des femmes des Yvelines, mais aussi des femmes venant d’autres départements, pas moins de 51 départements ! On a tendance à géolocaliser une femme victime sur son département, alors qu’elles peuvent parfois traverser toute la France pour trouver de l’aide et du conseil sans être repérables par leurs proches.

Le département des Yvelines, qui totalise 2 284 km2 de superficie, rassemble 262 communes, dont 185 qui sont en zones rurales. La population rurale représente 9 % de la population totale du département. Les acteurs de proximité sont évidemment les élus locaux, avec peu de femmes élues maires. Les maires hommes, en zones rurales, sont souvent assez paternalistes et ne reçoivent pas avec enthousiasme les associations féministes. Les gendarmes sont souvent les premières interfaces dans les cas de violences physiques. Selon la préfecture, en 2015, 309 faits de violences intrafamiliales ont été recensés, soit une croissance de 5,82 % par rapport à 2014, et ces données ne concernent que les dépôts de plainte. Trois quarts des victimes étaient des femmes.

239 communes des Yvelines disposent d’une école, dont 160 communes rurales, et parmi elles sept qui ont une classe unique. Les acteurs de proximité se trouvent également dans l’enseignement, en particulier les infirmières scolaires et les assistantes sociales. Mais dans les zones rurales, ce sont des actrices qui ont disparues.

Les autres acteurs locaux sont les professionnels de santé mais la désertification dans les zones rurales fait qu’aujourd’hui, il ne reste que 150 médecins et 28 officines de pharmacie pour 100 000 habitants. Les professions libérales, sages-femmes et infirmières, sont en train de se développer parce qu’on leur donne plus de fonctions. Ce sont des acteurs de soins qui vont aux domiciles, et peuvent être ainsi de très bons indicateurs de violences intrafamiliales.

Aujourd’hui, l’association s’est raccrochée aux PMI car elles sillonnent des zones qui couvrent tout le territoire, alors que les acteurs du Nord et du Sud du département ne se parlent pas. Par exemple, les psychiatres du Nord du département n’ont aucun lien avec ceux du Sud, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. La PMI dispose de 20 centres sur le territoire mais pour préserver une relation de proximité avec les habitants les plus éloignés, elle a mis en place un bus qui permet de faire voyager une infirmière et un médecin. Elle propose des consultations pour les enfants jusqu’à sixans. Ces consultations sont de bonnes entrées car 70 % des femmes reçues par l’association déclarent être victimes de premières violences lors de leur grossesse. C’est donc lors de leurs consultations pour leurs enfants qu’on peut espérer détecter celles qui sont victimes de violences conjugales.

Les professionnels de l’association se joignent donc au bus de la PMI. Il s’agit d’infirmières, de psychologues et de gynécologues. Il est d’ailleurs frappant de constater comment les maires des communes rurales rencontrés lors de ces déplacements, souvent des élues femmes, ont du mal à admettre qu’il puisse y avoir des faits de violences dans leurs communes. On entend souvent dire « Non, chez nous, il n’y a pas de violence, seulement des petites disputes, on gère comme on peut ».

Les gendarmes ont été formés et depuis, ils ont une approche plus ouverte de ces problématiques. Auparavant, ils pouvaient avoir tendance à étouffer les affaires de violences, ne serait-ce qu’en décidant de ne pas prendre des dépôts de plainte. Du fait de l’impact de la violence, subie pendant des années, nous avons rencontré des cas de santé psychique dégradée, comme ce fut le cas dans l’affaire de Catherine Sauvage, dont nous avons rencontré la fille.

Françoise BRIÉ

Dans le 92, nous avons suivi l’affaire d’une femme qui avait des troubles psychiatriques et que personne ne voulait croire, alors qu’elle était bel et bien victime de violences. Son conjoint a finalement été condamné après deux années de travail avec elle pour qu’elle soit finalement en situation de pouvoir exprimer les violences qu’elle avait subies.

Frédérique MARTZ

Dans les chiffres de l’association remontent beaucoup de cas d’inceste dans les zones rurales. Aux vues des déclarations obtenues, on peut estimer que les violences sexuelles sont assez importantes, y compris dans des zones plus urbanisées. Nous identifions en particulier une montée assez importante des violences sexuelles sur les enfants.

Sur les 1950 femmes reçues par Women Safe depuis 2014, seulement sept femmes étaient issues de zones rurales, d’une moyenne d’âge de 40 ans, toutes ayant une activité professionnelle, et témoignant de violences principalement conjugales.

Les zones rurales étant peu couvertes par les hôpitaux, l’association s’est beaucoup appuyée sur le monde libéral. Nous récupérons beaucoup de femmes qui sortent des hôpitaux et retournent dans leurs zones rurales où elles sont perdues de vue par les services hospitaliers.

Finalement, que conseiller aux élus? Il faut les associer beaucoup plus à la construction d’un maillage territorial de proximité, pour qu’ils soient plus à l’aise pour diriger vers des ressources de proximité. Il conviendrait aussi de créer une ligne budgétaire à la hauteur des problématiques, des moyens de déplacement vers les unités médico-judiciaires (UMJ) ou vers des associations, et organiser des événements de sensibilisation. Enfin, il faudrait former les conseillers municipaux et les forces de l’ordre à la prévention et au dépistage.


ÉCHANGES AVEC LA SALLE


  • Vous avez toutes les trois esquissé la problématique d’un manque de pilotage des actions sur les territoires, qui devrait se saisir de ce pilotage?

Céline BOMPOINT

La difficulté des commissions, des comités de pilotage, c’est qu’ils existent seulement pour un temps donné, avec des personnes et pas des institutions. Dès qu’un maillon se retire, il faut tout recommencer.

Sur la difficulté du partage, nous avons fait des constats hallucinants. Nous avons participé à des réunions où on devait dire des choses communes, sur le même cas, mais sans jamais dire de qui on parlait, alors que nous étions entre professionnels qui devaient prendre des décisions pour aider cette personne…

Françoise BRIÉ

Dans les zones que je vous ai décrites, ce sont les associations Solidarités Femmes qui sont leurs propres pilotes, face à des institutions dans lesquelles les responsables changent régulièrement.

Sur la question de la confidentialité, bien évidemment si une femme ne souhaite pas donner son nom et son prénom, on ne la force pas à le faire, c’est un sujet assez compliqué.

Frédérique MARTZ

La politique aujourd’hui prend peut-être un peu trop le pas sur des sujets qui sont quand même des problématiques de santé publique, l’enjeu est trop important pour être politisé.

  • Plusieurs participantes à la réunion témoignent du peu de considération des policiers et gendarmes qui recueillent des récits de femmes victimes de violences, lesquelles ont ensuite beaucoup de mal à faire confiance aux institutions pour se sortir de leur situation.

Frédérique MARTZ

Il y a un énorme turn-over dans la gendarmerie et la police et, très souvent, les responsables formés une année disparaissent du service l’année suivante. Il faut alors tout recommencer.

Céline BOMPOINT

Nous avons constaté que dans toutes les gendarmeries où nous intervenons, un très bon partenariat s’est créé. Et ils sont demandeurs parce qu’ils sont aussi démunis que tout autre professionnel. Une femme vient témoigner de violences conjugales, mais il leur manque tout un tas d’éléments socio-économiques pour prendre en charge la personne. Ils appellent l’association, ils nous interpellent quand ils ont des cas à gérer. Ce qu’expliquent souvent les forces de l’ordre, c’est qu’ils veulent des dossiers solides, avec des éléments factuels, pour éviter que le parquet classe sans suite.

  • Combien de femmes venant se renseigner auprès de vos associations sont aussi des mères?

Frédérique MARTZ

Nous avons le cas d’une femme, très avancée dans sa grossesse, qui est venue nous voir encore habillée en pyjama, nous avons réussi à la faire hospitaliser. Finalement, elle a accouché, mais on lui a retiré l’enfant pour le confier au père, alors qu’il était violent et qu’elle avait porté plainte contre lui! Nous sommes révoltées tous les jours face à ces décisions incompréhensibles. Comme cette personne avait quitté le domicile, la justice a décidé qu’il serait mieux pour l’enfant qu’il soit chez son père… Nous n’arrivons plus à trouver ces décisions rationnelles. C’est souvent le critère socio-économique qui prend le pas sur l’urgence de la situation de violence.

Françoise BRIÉ

La question socio-économique est souvent plus importante que les violences subies, et bien souvent, c’est l’agresseur qui dispose d’une bonne situation socio-économique. On se bat tous les jours pour héberger une femme, ne serait-ce que quelques semaines, parce qu’on sait qu’une décision de justice va bientôt arriver et qu’on sait qu’en cas de précarité du logement, la résidence des enfants sera attribuée à l’agresseur. La notion d’enfant victime est alors totalement évacuée…

Frédérique MARTZ

On a vu le cas d’un auteur de violences conjugales qui était aussi dealer de drogues, et la police a privilégié ce dernier aspect dans son dossier. Ils ont attendu de pouvoir arrêter le dealer, sans considération particulière pour la situation de violences que subissait sa compagne, qu’il avait pourtant menacé de mort!

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