Présentation de l'étude Les violences faites aux femmes en milieu rural. Une étude en Midi-Pyrénées et en Pays de la Loire, réalisées par la FNSF


Françoise BRIÉ, Directrice Générale de la Fédération Nationale Solidarités Femmes

La FNSF est un réseau de 67 associations en France. En 1992, elle crée une ligne d’écoute nationale destinée au départ aux femmes victimes de violences conjugales. Depuis 2004, cette ligne est devenue une porte d’entrée pour toutes les formes de violences faites aux femmes, y compris les viols, les mariages forcés ou le harcèlement sexuel au travail. La Fédération traite entre 45 000 et 50 000 appels par an au 3919, majoritairement des violences conjugales. Le réseau propose 2 700 places d’hébergement et accompagne 30 000 femmes hors-hébergement et 5 000 victimes, femmes et enfants, dans les centres d’hébergement.

Au niveau national, en France, les trois quarts des bassins de population sont en zones rurales. Ils représentent 78 % de la superficie du pays et 31 % de la population. Il s’agit d’une population dispersée et vieillissante : 25 % de personnes de plus de 60 ans, 25 % de moins de 25 ans et 50 % de 26 ans à 59 ans. Selon le Ministère de l’Intérieur, entre 44,6 % et 55 % des féminicides ont lieu en milieu rural.

La FNSF a réalisé une enquête sur les violences faites aux femmes en milieu rural, en Pays de Loire et en Midi-Pyrénées, des territoires presqu’uniquement en zones rurales, en 2011-2012 (examen des situations de 730 femmes) puis en 2014 (1 134 femmes). Les données sont à la fois quantitatives et qualitatives, à partir des témoignages de femmes accompagnées dans les associations, des témoignages de professionnels et des éléments d’analyse qui émergent des rapports d’activité de ces associations.

L’expérience des associations du réseau mène au constat que les spécificités des conditions de vie des femmes en zones rurales augmentent leurs difficultés dans leurs parcours de sortie des violences. Le taux de prévalence des violences physiques ou sexuelles en 2014 se situe entre 3,4 % et 2,9 % au niveau national et à 3 % en zones rurales. Il n’y a donc pas de différence notable.

Les femmes en milieu rural représentent des catégories très hétérogènes:

  • Des exploitantes agricoles, souvent les conjointes d’exploitants, une population en diminution constante dans les petits bourgs. Pour elles, l’importance du qu’en-dira-t-on, de la réputation et de la «surveillance» est extrêmement forte. Le couple est solidaire économiquement, ce qui rend les séparations encore plus compliquées;

  • Les enfants des exploitants et exploitantes agricoles, ou les exploitants qui eux-mêmes ne travaillent plus du fait de leur âge ou qui ont trouvé du travail localement. Le modèle traditionnel est très fort, comme l’ancrage local, et la propriété d’une maison individuelle est l’idéal, avec des couples qui se forment très tôt et qui sont très surveillés par la famille;

  • Les néo-ruraux, qui ont choisi de s’installer en zones rurales pour trouver un habitat moins cher et qui se déplacent pour travailler. La femme y perd souvent en termes d’accès à l’emploi, avec des métiers peu qualifiés, des responsabilités familiales et des enfants.

Dans notre enquête, la très grande majorité des femmes interrogées vivaient en couple et avaient au moins un enfant, elles étaient principalement victimes de violences conjugales.

Les difficultés majeures qui ont été observées sont d’abord la prégnance des stéréotypes sexistes et d’une société patriarcale. Les femmes sont plus contraintes par la répartition des tâches domestiques et la garde des enfants, avec un mode de garde extérieur souvent compliqué, essentiellement des assistantes maternelles, dont le coût est plus élevé que d’autres modes de garde. De plus, les rôles sexués sont très prégnants (l’emploi pour les hommes et de la présence au domicile pour les femmes). Les violences sont niées, difficilement révélées, minimisées ou banalisées. Enfin, ces territoires sont marqués par un isolement géographique, des difficultés de mobilité (surtout pour les femmes de plus de 60 ans), et une précarité financière (en zones rurales, 60 % des chômeurs de longue durée sont des femmes et 40 % des femmes occupent des emplois en temps partiel).

A ces éléments s’ajoute une méconnaissance des droits, du numéro d’écoute nationale 3919 et des lieux spécialisés pour accompagner la sortie de la violence. Les femmes des zones rurales sont sous-représentées dans les publics pris en charge par les associations de la Fédération. Très souvent, les femmes découvrent l’existence des associations lorsque les gendarmes interviennent et les y accompagnent. Il y a une vraie méconnaissance des lieux de ressources, on entend notamment « Si j’avais su que vous existiez… Cela fait dixans que je vis cela! »

Les violences sont exactement les mêmes en zones rurales qu’en zones urbaines, le phénomène d’emprise est le même, mais ce sont les conditions de vie qui créent des difficultés particulières:

  • Au départ, la vie en couple est vécue comme un moyen d’émancipation, mais elle est complexifiée par la présence des familles qui restent à proximité et exercent une forme de contrôle d’où la difficulté conséquente à faire accepter le divorce ou la séparation;

  • Le manque de services de proximité dans le secteur de la santé et de la justice, et le manque d’associations spécialisées. Tenir une permanence dans des zones rurales a un coût que les financeurs se sont pas toujours prêts à verser puisqu’elles ne sont pas forcément très fréquentées, même si elles sont extrêmement utiles;

  • La formation des professionnels est souvent insuffisante ou inégale;

  • Les jeunes femmes ont souvent une voiture à disposition, mais c’est moins vrai quand elles sont victimes de violences conjugales car leurs déplacements peuvent être contrôlés;

  • L’indépendance financière, l’attribution d’un compte bancaire indépendant, sont nécessaires pour pouvoir entamer des démarches afin de sortir des violences.

En conclusion, ce sont vraiment les conditions de vie en zones rurales qui augmentent les difficultés, il faut tenir compte de ces particularités dans les réponses qui vont être apportées à ces femmes ainsi que dans les politiques publiques.

Les associations des Pays de Loire, notamment sur Nantes, insistent en particulier sur le maillage territorial, avec l’impératif de réduction des temps de déplacement, la mise en place de groupes de travail de professionnels animés par les associations Solidarités Femmes, le suivi local en termes d’hébergements d’urgence et la mise en place de permanences dans des lieux neutres (en mairie notamment). C’est un travail à très long terme qui demande une régulation permanente, avec des associations qui doivent piloter les groupes de travail et de pilotage.


ÉCHANGES AVEC LA SALLE


  • En quoi consiste le phénomène de l’emprise ?

Le concept d’emprisevient des injonctions contradictoires amenées par l’auteur des violences, avec des phases de rémission et des femmes qui se retrouvent progressivement prises au piège dans des toiles d’araignées : déresponsabilisation de l’auteur, culpabilisation de la victime, incapacité à quitter le conjoint violent et phénomènes d’allers-retours rendus encore plus compliqués du fait de l’inaccessibilité d’un certain nombre de services. La sortie de la violence est ensuite grevée par les conditions socio-économiques : lorsqu’on est exploitante agricole, avec des animaux, avec une propriété en commun avec son agresseur et le poids de la famille, tout cela rend le départ du domicile pour le moins difficile.

  • La question de la non maîtrise du français a-t-il été un facteur d’isolement remonté lors de l’étude sur les violences faites aux femmes en milieu rural ?

Les associations du réseau parlent effectivement de cas de femmes étrangères, qui arrivent en zones rurales et qui ne maîtrisent pas la langue française, c’est un frein supplémentaire à la sortie des violences. Trouver les moyens d’apprendre la langue s’avère encore plus difficile en zones rurales.

Fédérique MARTZ : Les femmes qui ne parlent pas la langue, en zones rurales, sont souvent en situation de prostitution ou d’esclavage moderne. Lorsqu’elles sont reçues par une association, il faut donc absolument créer un lien via leur langue maternelle.

  • Avez-vous pu vérifier dans votre enquête si les femmes victimes de violences sont salariées de leurs maris ?

Françoise BRIÉ : Oui, il y a des femmes victimes de violences qui sont salariées par leurs conjoints. Mais c’est tout de même à la marge, en tout cas dans le cadre de l’enquête de la Fédération, et ce peut être aussi le cas en milieu urbain. On oublie souvent, dans les textes de loi, qu’il y a une possibilité pour les femmes victimes de violences de toucher aux ASSEDIC si elles ont été victimes de violences. Mais cela implique de négocier une rupture conventionnelle ou un licenciement avec son agresseur.

  • Les chiffres les plus récents datent de 2014, d’autres études sont-elles envisagées pour constater une éventuelle progression ?

Compte tenu la tension budgétaire actuelle, l’importance du soutien des conseils départementaux et des régions est cruciale pour que la Fédération puisse relancer une étude afin d’approfondir les thématiques soulevées dans cette première enquête. Mais beaucoup d’associations du réseau qui sont en milieu rural sont confrontées à des tensions financières, du fait de la baisse du financement par les collectivités locales.

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