Les enjeux de l'accompagnement juridique en milieu rural
Céline BOMPOINT, Juriste coordinatrice au Centre d’Information Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) de l’Essonne
Le CIDFF Essonne est une association loi 1901 implantée depuis 1982, membre de la Fédération nationale des CIDFF. Sa mission d’intérêt général est d’informer le public en sachant que, selon les CIDFF (un par département), deux secteurs sont couverts: l’accompagnement des femmes dans l’emploi et la création d’entreprise, et l’accès aux droits pour les femmes.
Le secteur juridique du CIDFF Essonne est composé de huitjuristes dont la mission est donc d’informer le public – hommes et femmes, mineurs ou adultes – sur leurs droits en tout domaine, relatifs au droit privé. L’objectif est de rendre la loi intelligible et de favoriser pour chaque citoyen le plein exercice de ses droits et une plus grande autonomie. Le droit civil va porter principalement sur des questions de droit de la famille, majoritairement les séparations, puis les questions de droit du travail – essentiellement sur les problématiques de harcèlement au travail – puis tout ce qui est lié au droit des biens, et enfin le volet pénal.
Les personnes sont reçues gratuitement dans nos permanences, de façon anonyme. Elles reviendront autant de fois que nécessaire tant qu’elles le voudront bien, notre porte étant toujours ouverte, en particulier pour des démarches de divorce ou de harcèlement au travail qui prennent forcément du temps. L’objectif n’est pas de leur dire quoi faire, mais de les informer sur ce qu’il est possible d’entreprendre. C’est à eux de faire le choix d’agir ou pas via une action aux Prud’hommes, au pénal, ou en prenant la décision de divorcer.
Pour obtenir ces informations, ces personnes peuvent contacter l’association via sa permanence téléphonique à Evry ou par e-mail. Des permanences se sont développées dans le département de l’Essonne pour permettre au public d’être reçu au plus près de chez lui. 38communes bénéficient d’une ou plusieurs permanences d’accès aux droits, et parmi elles 11 sont en zones rurales. Il y a en tout 45points d’information car il y en a plusieurs dans certaines grandes villes de l’Essonne.
L’Essonne est située dans la grande couronne de l’Ile-de-France. La moitié sud du département est essentiellement rurale, avec très peu de services publics à disposition des habitants. Tribunaux, points d’accès aux droits, Maisons de Justice et du Droit sont tous concentrés dans la moitié nord du département. Il y a deux lignes de RER qui traversent en parallèle le territoire, du Nord au Sud. Ainsi, pour accéder au Tribunal de Grande Instance, les habitants du Sud doivent remonter jusqu’en haut de la moitié nord pour ensuite changer de ligne de RER, redescendre, et rejoindre le tribunal.
L’association est née en 1982 et dès 1988 elle réussit à ouvrir une permanence d’accès aux droits sur la seule ville du Sud du département disposant d’un Tribunal d’Instance, parce qu’il y avait un quartier Politique de la ville sur cette ville. En 2001, un partenariat est créé avec une association de développement de l’emploi, qui n’existe plus aujourd’hui. Cette association avait mis en place un «bus de l’emploi» qui sillonnait la zone rurale de l’Essonne, commune par commune, depuis Evry. L’équipe était composée de conseillères de l’emploi et d’une juriste du CIDFF. Ce partenariat a duré troisans mais une difficulté fut vite constatée: que ce soient dans les quartiers politiques de la ville ou dans les zones rurales, la proximité a des inconvénients. Les gens n’osent pas venir lorsque les voisins sont trop proches et peuvent les voir. Par exemple, sur la commune de Richarville, 500habitants, le bus était installé près de l’église, en face de la mairie, à la vue de tous.
En 2004, grâce à l’aide de la maire d’une petite commune de l’Essonne, aussi conseillère départementale, une convention est passée avec plusieurs communes prêtes à s’engager financièrement pour mettre en place des permanences d’accès aux droits dans le département. Huit permanences sont ouvertes dans ces communes du Sud de l’Essonne, le Conseil départemental prenant en charge 50 % des besoins financiers.
La difficulté d’avoir une seule permanence dans une commune, sur un mois, est qu’on a du mal à fidéliser le public. Deux permanences dans le mois permet au contraire de mieux développer le partenariat local et de faire en sorte que le bouche-à-oreille fonctionne.
En 2007, une convention est signée avec l’État, plusieurs associations, les commissariats et gendarmeries, afin d’organiser des permanences spécifiques pour les femmes victimes de violences conjugales. En plus des communes rurales qui accueillent déjà des permanences, cette convention permet de percevoir des fonds et d’asseoir une présence dans les zones rurales.
Le Conseil départemental continue aujourd’hui à cofinancer les permanences de l’association. Le bouche-à-oreille a bien fonctionné et d’autres communes ont demandé à avoir leur propre permanence d’accès aux droits. De nouvelles structures sont arrivées sur le territoire: à Étampes, nous avons pu nous installer en centre-ville en 2009 grâce à l’ouverture d’un point d’accès aux droits par la mairie. D’ici peu, ce point d’accès aux droits d’Étampes deviendra une Maison de Justice et du Droit, ce qui permettra une meilleure offre de services de proximité entre l’usager et la justice.
Enfin, l’ouverture des Maisons des Services Au Public (MSAP) ces dernières années permet de rassembler en un même lieu de nombreux services de proximité, y compris ceux relatifs à l’accès aux droits. Ces maisons permettent d’ailleurs aux femmes victimes de violences conjugales de venir consulter l’association sans se faire particulièrement remarquer des voisins proches.
Quelques statistiques pour 2017 : le CIDFF Essonne a reçu 9 900 personnes, dont 683 personnes seulement issues de communes rurales. Sur le territoire urbain, l’association est présente toutes les semaines, mais ce n’est pas le cas en secteur rural puisque le coût financier d’une présence hebdomadaire est souvent trop important pour les petites communes. Sur les 11 communes en zones rurales du Sud de l’Essonne, parmi les 683 personnes reçues en 2017, 76 % sont des femmes (contre 65 % en zones urbaines). Les domaines de droit abordés restent classiques: problématiques familiales, droit des bien et droit du travail.
A propos des néo-ruraux, l’association a constaté qu’énormément de gens qui vivaient à Étampes sont descendus dans le Sud du département, attirés par des loyers moindres et une accession à la propriété moins coûteuse. Mais une explosion des divorces s’en est suivie: le Sud est certes moins cher au logement, mais les coûts annexes deviennent beaucoup plus importants (achat d’une deuxième voiture, garde plus longue des enfants à la garderie, temps de transports et de trajets énormes, etc.).
ÉCHANGES AVEC LA SALLE
Le CIDFF organise-t-il des actions collectives en matière d’accès aux droits ?
Le CIDFF propose des actions collectives sur différentes thématiques: égalité, violences conjugales, autorité parentale, etc., à la demande, auprès de n’importe quel service. Une difficulté dans les communes rurales est qu’il s’agit d’élus, pas tant d’agents communaux, qu’il est difficile de les réunir pour les sensibiliser à ces thématiques.
Avez-vous l’intention de réaliser des permanences sur la thématique de l’accès à l’emploi ?
En 2001, il y avait quelques permanences relatives à l’emploi sur la ville d’Étampes, mais qui n’ont pas vraiment fonctionné. La difficulté est toujours de réussir à trouver des fonds, ce sont parfois des fonds européens qui tardent à être versés. Les élus locaux ne sont pas plus intéressés que cela par ce genre de permanences.
La thématique des droits des étrangers n’est pas abordée dans vos permanences ?
Le CIDFF n’est pas là pour donner du conseil mais pour informer le public, puisqu’il ne faut pas empiéter sur le travail des avocats. Bien souvent, un étranger qui vient consulter une permanence en ressort très déçu, car il ne sera pas accompagné dans ses démarches auprès de la préfecture. Sur Étampes, dans la zone rurale, un juriste spécialisé en droit des étrangers intervient lors des permanences, en lien avec la préfecture.
La proximité du public en zones rurales est donc un frein ?
Cela dépend en fait de la configuration du lieu d’accueil des permanences. Dans une commune rurale du Sud de l’Essonne, la permanence était installée dans la petite mairie, au premier étage, avec un grand escalier pour y accéder. De fait, celles qui voudraient s’y rendre sont clairement visibles par les autres usagers des services qu’offre la mairie. C’’est assez dissuadant, cela n’aide évidemment pas à la confidentialité et à l’anonymat. Il faut bien penser à l’endroit où sera organisée la permanence, pour préserver un minimum de discrétion.
76% des personnes qui viennent consulter les permanences, en milieu rural, sont des femmes. Au départ le CIDF n’avait qu’un F, pour les droits des femmes, puis lui a été accolé un deuxième F, pour les droits des familles. La tendance générale n’est-elle pas de glisser du droit spécifique des femmes à un droit plus général, simplement pour que les associations puissent continuer à exister, d’un point de vue strictement financier ?
Le CIDFF bénéficie d’un agrément de l’État, qui exige notamment que 70 % au moins des personnes rencontrées soient des femmes, les actions réalisées le seront donc toujours auprès des femmes. Mais les baisses budgétaires font que les actions collectives vont être de plus en plus souvent privilégiées.