Comment impulser la participation des jeunes filles et la mixité ?


Dominique POGGI, _Sociologue, membre fondatrice du collectif À Places Egales, auteure de _Pour qu'activités de loisirs riment avec égalité : l'exemple des opérations VVV (Ville Vie Vacances)

Je vais vous présenter quelques éléments d'une recherche-action portant sur les opérations VVV de la Ville de Paris.

Ce projet a été initié par la Préfecture de Paris, qui déplorait la faible participation (à hauteur de 30 % en moyenne) des filles aux opérations VVV. La Ville de Paris m'a demandé de travailler avec des structures jeunesses ayant déjà réfléchi à la problématique de la mixité, de manière à mettre en place une méthode de travail participative, sous forme de recherche-action.

Cette recherche-action a permis d'identifier les principaux freins à la participation des jeunes femmes aux activités de loisirs, ainsi que les points à travailler pour favoriser la mixité.

La recherche-action Pour qu'activités de loisirs riment avec égalité : l'exemple des opérations VVV (Ville Vie Vacances) publiée par le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir en 2015

Déconditionner


Tout d'abord, la recherche-action fait apparaître la nécessité d'un déconditionnement, à mener au travers des politiques jeunesse.

Le déconditionnement doit prendre plusieurs formes. Il s'agit d'une part de sensibiliser les acteurs de la jeunesse aux problématiques du genre en abordant avec eux la question des stéréotypes, trop souvent perçus comme des évidences.

Par exemple, il semble aller de soi pour bon nombre d'encadrants que les activités sportives sont ouvertes à tous et toutes et qu'un ordre « naturel » orienterait donc les choix des filles et des garçons. En vue de déconstruire cette perception erronée, les recherches-actions apportent un regard sociologique qui rend compte des inégalités filles / garçons et de leurs racines.

Par ailleurs, la répartition des rôles au sein des équipes d'encadrement tend à reproduire les stéréotypes de genre. Ainsi, les éducatrices endossent le plus souvent un rôle d'écoute, de proximité et animeront les activités manuelles ; tandis que les éducateurs font acte d'autorité et s'occupent des activités sportives. Déconditionner signifie donc également parvenir à une répartition des tâches plus mixte entre les encadrants.


Identifier les freins majeurs à la participation des jeunes filles


La recherche-action s'est portée principalement sur des quartiers faisant l'objet de politiques spécifiques de la ville. Je souhaite toutefois préciser que les normes sociales imposées aux jeunes femmes ne le sont pas exclusivement dans ce type d'environnement. Néanmoins, les professionnels de ces territoires décrivent une micro-culture interdisant ou freinant la mixité.

Un animateur VVV remarque ainsi que, lors des activités, « à chaque fois que les filles sont venues, quand les garçons sont arrivés, elles sont parties ». Plus généralement, il a été possible d'observer un changement du comportement des filles, selon que des garçons sont présents ou non.

De plus, il est apparu que la problématique de la « mauvaise réputation » conditionne très fortement la participation des filles aux activités de loisirs dans ces quartiers. Ainsi, en 2014, une opération VVV se déroulant de nuit n'a attiré aucune fille. Pour contourner la peur de la mauvaise réputation, les filles tendent à s'éloigner de leur quartier, comme le rapporte un encadrant : « Dès que possible, les jeunes filles sortent du quartier et de son contrôle. Elles vont dans d'autres quartiers pour ne pas entacher leur réputation, pour être tranquilles ».

À cette question de la mauvaise réputation s'ajoute une certaine pression familiale. Dans les familles, il est fréquent que le budget loisirs soit consacré en priorité au(x) garçon(s), tandis que les filles doivent parfois s'occuper d'un petit frère ou d'une petite sœur. De plus, les garçons peuvent aisément sortir sans se justifier, tandis que les filles sont tenues de rendre des comptes, voire trouver des excuses, et peuvent dès lors hésiter à demander l'autorisation de participer à des activités de loisirs. Ces contraintes expliquent pourquoi, lors des inscriptions aux activités, les jeunes filles viennent moins spontanément que les garçons, se présentent souvent tardivement, et plus volontiers en groupe.

Enfin, un autre frein majeur à la participation des jeunes filles tient à une certaine focalisation des encadrants sur les besoins des garçons, au détriment de ceux des filles. Un animateur reconnaît ainsi se préoccuper « plus de la délinquance des garçons, et moins des filles et leurs besoins ». Une coordinatrice affirme quant à elle que « le principal frein, c'est nous », c'est-à-dire les professionnels qui omettent de prêter attention aux difficultés rencontrées par les jeunes filles, exprimées de manière souvent moins explosive qu'elles ne le sont chez les garçons.


Préconisations : comment dépasser les freins


Il existe un certain nombre de leviers permettant d'encourager la participation des jeunes filles aux activités de loisirs, à condition de les activer de manière durable et volontariste.

Un premier levier consiste à privilégier la diversité et la parité dans la composition des équipes encadrantes, afin que les jeunes filles puissent s'identifier à des animatrices-référentes. Y parvenir suppose notamment de rechercher, de manière proactive, des femmes éducatrices sportives. Un animateur évoque ainsi la possibilité d'un effet boule de neige que pourrait avoir la présence d'une femme à une activité : « si ma copine vient, la copine d'un copain viendra aussi ».

Toutefois, la diversité au sein des équipes constitue un élément nécessaire mais non suffisant. Une orientation politique volontariste doit s'y ajouter, afin de réaliser le dé-conditionnement évoqué précédemment.

Un deuxième levier consiste à mettre à disposition des données chiffrées concernant la participation aux activités de loisirs, par genre. Une bonne compréhension des mécanismes freinant la participation des jeunes filles permettra ainsi de proposer des remédiations, sous forme d'actions adaptées et de facilitateurs d'accès aux loisirs. Par exemple, mettre en place des structures proposant des activités pour les tout-petits pourra permettre de libérer les filles responsables d'un petit frère ou d'une petite sœur.

De la même manière, nous avons vu que les filles disposent d'une moindre maîtrise de leur emploi du temps que les garçons et tardent donc davantage à s'inscrire aux activités proposées par la ville. Dès lors, nous pourrions envisager d'accorder plus de souplesse aux filles concernant les horaires d'inscription et de leur réserver la moitié des places sur chaque programmation de vacances. De telles dispositions signaleraient, plus globalement, que la ville réaffirme et légitime le droit des filles aux loisirs, à part égale des garçons.

Par ailleurs, proposer des activités peu stéréotypées permettrait de toucher plus largement les filles. Dans le domaine du sport, l'ultimate ou le roller favorisent ainsi la mixité et la coopération, au détriment de la performance individuelle. Du côté des activités culturelles, le cirque ou l'audiovisuel s'avèrent attractifs pour les filles comme pour les garçons.

De plus, une réflexion sur les vecteurs de la communication doit être menée, afin de mieux informer les filles. Dans le cadre de mon enquête sur les VVV, j'ai constaté que les informations concernant les diverses activités étaient transmises essentiellement des animateurs vers les jeunes, puis des jeunes entre eux via le bouche-à-oreille. Les animateurs communiquaient soit dans le cadre d'un mode accueil, soit en se rendant directement auprès des jeunes dans le quartier. Or, un tel mode d'information est inadapté pour les filles, peu présentes de manière statique dans l'espace public. À l'inverse, une éducatrice a pris l'initiative d'organiser une « soirée filles » qui a permis de faire circuler l'information auprès des participantes.

En matière de communication, prêter attention à la dénomination des activités pourra également s'avérer intéressant. Par exemple, une activité de boxe présentée comme de l'aéroboxe attirera une fréquentation plus mixte.

Un autre levier favorisant la mixité est l'organisation de séjours. En effet, garçons et filles changent d'attitude et échangent davantage lorsqu'ils échappent au cadre normé de leur quartier. Ces sorties sont autant d'occasions de redéfinir les rôles, de casser les habitudes et les stéréotypes. Elles permettent ainsi d'initier une réflexion sur la répartition sexuée des rôles, par exemple concernant la gestion des tâches quotidiennes. Dans ce contexte, la vigilance des animateurs revêt une importance primordiale.

Enfin, le lien avec les familles constitue un levier essentiel pour accroître la participation des jeunes filles aux activités de loisir. La tenue de réunions et la mise en place d'un accompagnement scolaire permettront ainsi de rassurer les parents en proposant un cadre sécurisé.

Néanmoins, il faut rappeler que la mixité ne se décrète pas, mais se construit petit à petit. Elle ne peut être réalisée sans un portage politique fort et sans une synergie entre les différents acteurs.


Échanges avec la salle


Nathalie FRANÇOIS, professeure d'éducation physique, membre du SNEP FSU

Je souhaite formuler plusieurs remarques concernant les politiques sportives menées actuellement en France.

Tout d'abord, ces politiques envisagent le sport principalement selon deux angles : celui de la santé et celui de la cohésion sociale. Or, ces approches ne favorisent pas la mixité dans les pratiques sportives.

D'une part en effet, la valorisation du sport comme pratique de santé, à travers par exemple la création de parcours santé dans l'espace public, encourage une pratique plutôt individuelle au détriment d'une pratique collective potentiellement mixte.

D'autre part, envisager le sport comme un facteur de cohésion sociale tend à focaliser les politiques sportives sur une pratique masculine adulte, permettant de canaliser cette population. Dès lors, la majorité des équipements sportifs, construits sur la base de cette pratique, ne correspondent ni aux enfants, ni aux femmes. Il faudrait remédier à cette inégalité en proposant des terrains adaptés à différents usagers. Cela suppose de prendre en compte certains critères spécifiques, par exemple la sécurisation des espaces, en prévoyant un accès aux équipements facile, éclairé et peu excentré.

Par ailleurs, il existe un manque de représentativité des femmes dans les équipes dirigeantes et encadrantes sportives. Les responsables, les techniciens, les gardiens de gymnase sont très majoritairement des hommes. En outre, le recrutement des cadres UNSS, qui se fait par voie académique, génère très peu de mixité. Pour remédier à cela, il serait intéressant d'imaginer une politique nationale volontariste. Cette question de la représentation est primordiale, car l'attractivité que revêt la pratique sportive pour les femmes est liée à un ensemble d'éléments et pas exclusivement au fait sportif.

Enfin, de moins en moins de filles entrent en formation STAPS, tandis que celles qui intègrent cette formation s'orientent majoritairement vers la filière Activité physique adaptée. Il y a quelques années, le ratio des professeurs d’Éducation Physique et Sportive était de 50/50. Il est désormais de 40/60, à majorité masculine.

Charlotte GROPPO

À ce sujet, je voudrais évoquer le cas de la Ville de Nanterre, dans laquelle des agrès ont été réaménagés. La municipalité a veillé à ne pas poser des équipements exclusivement adaptés à une pratique sportive masculine adulte. Pour autant, les femmes n'investissent pas davantage ces équipements publics.

Clémence PAJOT

En effet, il faut se demander comment faire en sorte que les équipements de pratique sportive libre soient plus accessibles aux femmes. Faut-il pour cela prévoir des horaires de non-mixité, imposer ou favoriser une pratique mixte n'allant pas de soi, ou encore compléter les infrastructures existantes par des espaces destinés spécifiquement aux femmes ?

Dominique POGGI

Sur ces questions, nous pouvons appliquer le raisonnement des deux « A » : aménagement et animation. L'un ne peut aller sans l'autre, particulièrement pour impulser une dynamique de départ. La dimension humaine de régulation et d'animation est primordiale, par exemple pour donner l'exemple de la mixité à travers un duo d'animateurs homme / femme. Peut-être faut-il en outre, dans un premier temps, passer par de la non-mixité.

Édith MARUÉJOULS

Nous devons toutefois nous montrer vigilants quant à un tel morcellement de l'espace public, car cette dynamique est d'ores et déjà à l'œuvre. Il importe plutôt de moins spécifier les usages des espaces, afin de moins limiter les usagers.

Par exemple, l'installation de vélos elliptiques dans la rue répond, en théorie, à un désir des femmes. Pour autant, celles-ci éprouveront toujours un manque de légitimité à investir l'espace public. Pour tendre vers la mixité, il faut cesser de transformer les villes en plaines sportives ; d'autant plus que les skate parks et city stades sont des équipements en moyenne très peu usités et souvent détournés de leur fonction sportive.

Chris BLACHE

Effectivement, suréquiper les espaces revient à leur attribuer une fonction, donc à favoriser une ségrégation. L'une des clefs pour éviter cet écueil est de réfléchir à la notion d'« ambiance ».

Un exemple intéressant est fourni par la Ville de Malmö en Suède, dans laquelle un ancien parking a été réaménagé en espace de loisirs destiné à la jeunesse. Lors de la phase d'étude, une enquête a été réalisée auprès des habitants afin de sonder leurs besoins et envies. Les garçons se sont manifestés en nombre à cette étape du projet. Toutefois, l'architecte a choisi, pour mieux penser la mixité, de recourir à la non-mixité. Elle a ainsi élaboré le projet en concertation avec un groupe composé exclusivement de filles.

Celles-ci ont finalement imaginé un espace composite, réunissant notamment des gradins, des paniers de basket, des plots destinés à la pratique du parkour, ou encore des éoliennes alimentant un système de sonorisation. En outre, les 13 participantes au projet ont créé une association qui organise régulièrement des événements. Aujourd'hui, cet espace rénové produit de la mixité. Nous retrouvons ainsi, à travers cet exemple, l'importance de concilier aménagement et animation.

Un autre exemple peut être trouvé dans l'aménagement d'un éco-quartier par la structure Plaine Commune. Cette structure souhaitait intégrer une aire de jeux pour enfants. Toutefois, face à l'ensemble de normes extrêmement contraignantes qui régissent ce type d'aménagement, Plaine Commune a préféré contourner le cadre administratif en ne qualifiant pas l'espace comme une aire de jeux pour enfants. Or, ce contournement a abouti à la création d'un espace aux usages et usagers extrêmement variés. Il existe donc un étau normatif, lié au cadre législatif de l'aménagement urbain, qui empêche trop souvent d'aller vers un dés-aménagement salutaire.

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