Éléments de cadrage : la mixité dans les espaces jeunesse et de loisirs


Édith MARUÉJOULS, Chargée de mission à la politique de la ville à Bordeaux Métropole, Géographe du genre, Directrice du bureau d'étude L'Arobe

Merci au Centre Hubertine Auclert de m'avoir invitée à partager mes travaux. Je vais présenter quelques éléments de cadrage, permettant d'appréhender la mixité dans les espaces jeunesse et de loisirs. Ces éléments vont permettre d'objectiver un certain nombre de phénomènes de ségrégation.

En effet, il est aisé de constater que, si des équipements publics destinés à la jeunesse et aux loisirs existent, ils sont fréquentés très majoritairement par des garçons. Pourtant, en l'absence d'une analyse de ce constat, le risque est de lire la ségrégation comme un phénomène naturalisé, en supposant tout simplement que « les filles font autre chose ».

C'est pourquoi il s'avère primordial d'objectiver ce phénomène. Nous devons nous demander ce que masque la ségrégation sexuée dans les espaces jeunesse et de loisirs, puis, pourquoi et comment il importe d'y remédier. En somme, analyser ce phénomène permettra de définir un engagement politique et professionnel sur la question de la mixité.

Présentation powerpoint de E. Maruéjouls

Le genre, un Système : stéréotypie et sexisme


Le paradigme féministe définit le genre comme la conjonction de deux piliers.

Le premier pilier du genre est constitué par les stéréotypes, soit un ensemble de normes permettant de distinguer les groupes sociaux féminins et masculins. Ces normes concernent à la fois un « vêtement physique », supposé permettre la reconnaissance immédiate de l'appartenance au groupe féminin ou masculin et un « vêtement social » regroupant les attendus liés à ce groupe.

Il faut souligner qu'en tant que tels, les stéréotypes n'ont pas d'effet direct sur la question de l'égalité. Ils classent simplement les individus en deux catégories, tout en les enjoignant à construire leur identité dans ce cadre. La question du bien-fondé d'un tel classement peut être posée d'un point de vue philosophique, mais cela ne constitue pas un problème politique à part entière.

En revanche, le problème politique posé par le genre tient à la hiérarchie qu'il induit. Cela constitue le second pilier du genre, tel que défini dans le paradigme féministe.

En effet, le système du genre instaure la valeur différentielle des sexes, c'est-à-dire le sexisme, en valorisant nettement l'appartenance au groupe social masculin. Pour preuve, il suffit de comparer deux vêtements destinés à des bébés, l'un pour fille et l'autre pour garçon. Sur le premier, de couleur rose, plusieurs adjectifs sont inscrits, parmi lesquels : « jolie, coquette, douce, rigolote, gourmande, têtue, belle, amoureuse ». Sur le second, de couleur bleue, les adjectifs sont les suivants : « robuste, vaillant, déterminé, cool, fort, rusé, habile, fier, courageux ».

Ainsi, ces termes traduisent les attendus sociaux liés au genre. Or, nous constatons que les attendus du genre féminin portent essentiellement sur l'apparence et ne permettent pas de faire société. En revanche, du côté des garçons, les valeurs attendues pourront être réinvesties socialement. Un certain nombre de ces qualités « masculines » apparaissent d'ailleurs fréquemment dans des fiches de poste. Ainsi, l'ensemble des stéréotypes associés aux catégories « fille » et « garçon » constituent bien les outils de l'inégalité des sexes.

La hiérarchisation entre les femmes et les hommes postule, dans le même temps, l'imperméabilité du genre. Dans le paradigme actuel, en effet, transgresser les catégories du genre implique de se transformer profondément. Plus particulièrement, dans le cas des hommes, pénétrer dans le monde des femmes équivaut à une déchéance. Ainsi, c'est la possibilité même de la mixité qui est compromise par le sexisme.

Cette question du travestissement comme déchéance a été illustrée lors d'une campagne publicitaire de 2012, sur laquelle le musicien Iggy Pop apparaît vêtu d'une robe. La photo est accompagnée de la citation suivante : « I'm not ashamed to dress ''like a woman'' because I don't think it's shameful to be a woman » (« je n'ai pas honte de m'habiller « comme une femme », parce que je ne pense pas qu'il soit honteux d'être une femme »). En définitive, le paradigme du genre aura évolué lorsque, sur cette photo, nous ne verrons plus un homme habillé en femme mais un homme vêtu d'une robe.

Un argument récurrent, face aux efforts pour réduire les inégalités femmes / hommes, consiste à affirmer que davantage d'égalité reviendrait, in fine, à supprimer toute différence entre les sexes. Pourtant, le paradigme actuel du genre amène à considérer que les femmes équivalent à « la femme », et les hommes à « l'homme », tendant ainsi à uniformiser les individus qui appartiennent au même groupe sexuel. Déconstruire cet ensemble de normes n'aboutira donc pas à une diminution de la différence, mais bien au contraire à une diversification des identités. Il faut rappeler que le contraire de l'égalité n'est pas la différence, mais l'inégalité.

Par ailleurs, soulignons que l'égalité femmes / hommes ne doit pas uniquement permettre aux femmes de mieux se saisir de valeurs masculines survalorisées, mais également de faire en sorte que les hommes puissent accéder à des valeurs minorées car traditionnellement associées au monde féminin, telles que la bienveillance ou le soin de soi et des autres. En déconstruisant l'imperméabilité des catégories du genre, il est possible de provoquer plus de partage et de rencontre entre les femmes et les hommes.

C'est là le sens des efforts vers plus de mixité et c'est en cela qu'il est primordial d'interroger la place de la mixité dans les politiques jeunesse. Si garçons et filles ne se mélangent pas dès leur plus jeune âge, alors cette rencontre et ce partage n'auront pas lieu.


Les loisirs des jeunes : Non-mixité, inégalité et affirmation des identités sexuées


Il est important de souligner, en premier lieu, que la question de l'égalité filles / garçons dans les espaces publics ne peut se réduire à un rapport de fréquentation. Pour bien mettre en évidence des dynamiques de ségrégation, il est nécessaire de construire une lecture par indice de mixité, c'est-à-dire analyser un équipement dans sa capacité à produire de la mixité.

À titre d'exemple, l'étude de la fréquentation des écoles de musique peut se faire en deux temps. Dans un premier temps, nous constatons que les élèves sont, à parts égales, des filles et des garçons. Toutefois, un degré supplémentaire de détail, précisant les chiffres de la fréquentation instrument par instrument, révèle des pratiques très stéréotypées. En dépit d'une fréquentation paritaire, les écoles de musique ne permettent donc pas de constituer effectivement des groupes mixtes.

De la même manière, transposer cette lecture par degré de mixité aux espaces publics, en particulier scolaires, permet de sortir de l'évidence d'une parité de fait pour constater que les espaces de perméabilité sont, en réalité, très peu nombreux.

Ainsi, l'une des études que j'ai réalisées, portant sur l'espace de la cour de récréation, a fait apparaître des dynamiques filles / garçons éloquentes. J'ai pu remarquer que lorsque l'espace central de la cour est occupé par un terrain de football, investi en majorité par des garçons, cet espace est délimité au sol par des lignes. Dès lors, un espace collectif central est défini, dans lequel il est légitime de pénétrer à condition de se plier aux règles du jeu. À l'inverse, les filles se trouvent reléguées dans des espaces externes. Les conditions du partage ne sont donc pas posées par la configuration de l'équipement.

De tels constats doivent inciter à une vigilance accrue quant aux signifiants que transmettent les équipements publics. À travers l'exemple de la cour de récréation, nous voyons que le fait de délimiter un terrain de football signale un usage légitime de cet espace, ce qui pousse les filles à s'en retirer d'office. La mise en place d'un tel équipement revient donc à légitimer une pratique qui s'appuie sur des stéréotypes de genre.

Pour remédier à ce type de dynamique, il importe d'imaginer des espaces publics permettant de neutraliser les stéréotypes, et dont l'usage puisse être négocié à travers une rencontre filles / garçons. Il faut en somme privilégier les capacités relationnelles des individus, plutôt que la sur-spécification des espaces.


Re-Agir et Changer


Pour parvenir à réduire la ségrégation genrée des espaces publics, nous devons favoriser la mixité, mais également mener un travail visant à renforcer l'égalité entre les filles et les garçons.

En effet, au-delà du rapport numérique permettant d'attester de la mixité ou non d'un groupe (pour rappel, la mixité est constatée à partir d'un rapport de 70/30), il faut se montrer attentif aux rapports de force genrés qui continuent de se jouer au sein des groupes mixtes. C'est pourquoi le travail sur la mixité doit se doubler d'un travail visant à renforcer l'égalité entre les filles et les garçons, à trois niveaux : celui de l'égale redistribution des investissements publics, de l'égal accès aux loisirs et de l'égale valeur des sexes.

Tout d'abord, la question de l'égale redistribution est centrale, puisque les politiques publiques pour la jeunesse visent à garantir un accès égalitaire aux loisirs pour l'ensemble des personnes qui relèvent d'un territoire donné. Or, l'étude de données chiffrées démontre que la mixité n'est pas avérée dans de nombreux équipements publics, tels que les Maisons des jeunes, les skate parks, les city stades, ou encore certains espaces de cour de récréation. Plus globalement, dans le secteur des loisirs, les jeunes filles de 12 ans et plus semblent disparaître de l'espace public. Il existe donc bien, à l'heure actuelle, un problème d'inégale redistribution des investissements publics.

Le second niveau sur lequel l'égalité doit être renforcée concerne l'égal accès au loisir. Nous observons que les filles disposent d'une moindre liberté de choix que les garçons dans le domaine des loisirs. Les restrictions qui pèsent sur leurs choix doivent donc être analysées et interrogées.

Enfin, j'ai déjà évoqué la problématique de l'égale valeur entre les sexes, en affirmant notamment la nécessité de pouvoir transgresser plus librement les catégories traditionnelles du genre.


Échanges avec la salle


Chris BLACHE, Coordinatrice de Genre et Ville

Je reviens sur l'exemple de l'organisation de la cour de récréation. Plusieurs expériences ont pu être menées pour tenter de réduire la ségrégation genrée dans cet espace. Or l'investissement des adultes représente un facteur conditionnant de manière très importante la réussite de ces expériences. Bien souvent, une première étape d'intervention consiste ainsi à favoriser la prise de conscience, parmi les équipes éducatives, des enjeux liés à la mixité. Serait-il possible, en particulier, de détailler l'exemple de l'école du Peyrouat ?

Édith MARUÉJOULS

J'ai initié en 2010 un projet d'école égalitaire à l'école du Peyrouat de Mont-de-Marsan, poursuivi à l'heure actuelle grâce à la forte implication de l'équipe pédagogique. Celle-ci encourage tout particulièrement l'ouverture de la parole des élèves, en les poussant à se saisir d'une posture critique et argumentaire. En effet, la capacité que démontrent les enfants à percevoir et verbaliser des injustices au sein de l'environnement scolaire dépend avant tout de l'existence d'un cadre d'écoute bienveillant, posé par les adultes.

En termes d'actions concrètes, nous pouvons mentionner une expérience de suppression du ballon dans la cour de récréation.

Paul DAULNY

Je signale un reportage de 5 minutes réalisé par France 2 sur cette expérience.

Reportage "Inégalité hommes-femmes : les préjugés commencent dès le plus jeune âge" diffusé sur France 2 en 2015

Charlotte GROPPO, Chargée d'étude sur les droits des femmes et l'égalité femmes / hommes

En Suède, certaines politiques considèrent qu'il est bénéfique de passer par de la non-mixité pour mieux arriver à la mixité ; par exemple en réservant des créneaux aux filles dans les stades de football.

Édith MARUÉJOULS

Il faut s'interroger sur le sens que l'on attribue à la mixité. Selon moi, elle constitue un outil indispensable à l'égalité. Le fait que les filles jouent au football est peut-être moins important, en tant que tel, que l'éducation au respect des autres.

L'exemple du football est d'ailleurs intéressant à ce titre. En effet, alors que les poncifs associés à ce sport valorisent une activité collective, il s'y joue en réalité, bien souvent, une quête de performance. Dès lors, toutes les mixités sont compromises, qu'il s'agisse de la mixité filles / garçons, de la mixité valides / non valides, jeunes / personnes âgées, etc. Derrière la non-mixité des genres se cachent ainsi toutes les autres non-mixités. C'est pourquoi il faut se montrer attentif au fait que réaliser un aménagement, comme un stade de football, équivaut à prescrire un usage mais aussi un certain type d'usager, donc à induire une ségrégation spatiale.

Dominique POGGI

Pour nuancer, il faut rappeler qu'il semble parfois nécessaire de recourir, dans un premier temps, à un « entre-soi », afin de mieux faire progresser ensuite la mixité. Le « tout-ouvert » ne fonctionne pas toujours, selon les situations, car la mixité ne se décrète pas.

Édith MARUÉJOULS

Néanmoins, la norme dans le domaine du loisir des jeunes, à l'heure actuelle en France, est la non-mixité. À la lumière de cette information, il convient de relativiser la nécessité d'une non-mixité.

Dominique POGGI

Je souscris à l'idée selon laquelle nous pâtissons de l'évidence d'une « parité de fait ». La problématique de l'inégal accès à l'espace public a constamment besoin d'être rendue plus visible. La méthode des marches exploratoires s'avère, à ce titre, très intéressante.

Le collectif dont je suis membre, À Places Egales, a accompagné plus d'une vingtaine de marches dans différentes municipalités, avec un double objectif. D'une part, un axe sécuritaire vise à faire reculer les violences dans l'espace public. D'autre part, les marches doivent être l'occasion pour les femmes de développer leur analyse de l'aménagement urbain. Elles peuvent ainsi identifier des inégalités d'accès à l'espace public ou encore décrire les stratégies d'évitement et de vigilance qu'elles mettent en place. Ainsi, les participantes se constituent en collectifs d'expertes, dont le regard pourra être croisé avec celui des décideurs.

Je signale plusieurs newsletters au sujet des marches exploratoires disponibles sur le site de la Mairie de Paris. En outre, il existe 3 documentaires sur ces initiatives.

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