Lutter contre le harcèlement sexiste et sexuel dans les transports en commun


Isabelle BELLUE, Responsable Prévention Assistance Contrôle Environnement pour Keolis

Sandrine DARRIET, Chargée de mission Innovation sociale, Bordeaux-métropole

Présentation powerpoint de I. Bellue et S. Darriet

Les actions mises en place


Sandrine DARRIET

Le transport est une compétence de la Métropole, et Keolis est notre délégataire. L’engagement de la Métropole sur l’égalité hommes-femmes date de 2011 en interne, et un élu s’est investi dans la lutte contre les discriminations à partir de 2015. La Métropole est signataire de la Charte européenne pour l’égalité femmes-hommes dans la vie locale depuis 2014, ce qui a impliqué l’adoption d’un plan d’action en 2015. Dans la partie sur les politiques publiques, la Métropole a souhaité travaillé sur les questions de mobilité.

Un changement d’équipe de la direction des mobilités nous a aidé, car auparavant ces équipes étaient très masculines, ce qui limitait la possibilité de faire entendre l’enjeu de l’égalité hommes-femmes dans les transports. L’avis du Haut Conseil à l’Egalité1 nous a aidé également. Le lancement de la présente enquête sur le harcèlement était également destinée à convaincre les décideurs de la Métropole de l’intérêt du sujet.

L’étude a été restituée le 25 novembre 2016 auprès des élus, des associations et des usagers et usagères. Tout le travail sur l’égalité hommes-femmes dans les transports a été mené avec Keolis, la Ville de Bordeaux, et des associations.

Parmi les préconisations du rapport, certaines sont plus simples à mettre en place que d’autres, certaines n’ont pas pu être appliquées, et il n’a pas été simple de convaincre nos élus et élues.

Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun publié en 2016 par le Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes

Isabelle BELLUE

Je suis responsable de la prévention des incivilités et de la violence, de la sécurité à l’intérieur des transports, et de la lutte contre la fraude sur le réseau de transports collectifs de Bordeaux. Les actions retenues sont apparues prioritaires, pour le personnel comme pour les usagers.

La première action menée a été une formation de nos personnels en contact avec le public, notamment les conducteur et conductrices de bus et de tramways, ainsi que les contrôleurs, les controleuses, les médiateurs et les médiatrices. Nous avons à nouveau fait appel aux sociologues qui ont mené l’enquête pour construire un module de formation. Bien que ces personnels soient parfois victimes de harcèlement et de discrimination, ils et elles ne se sentent pas nécessairement concernés par la problématique. Nous avons, en plus de cette formation, intégré cette question à la formation initiale des personnels qui rejoignent notre réseau. Nous leur indiquons comment se comporter face à de telles situations et quelles sont les paroles à prononcer ou ne pas prononcer à des victimes de harcèlement. Il n’est pas aisé de dispenser cette formation et nous sommes encore en train d’améliorer notre module.

La deuxième action a été de montrer que le réseau s’intéresse à cette problématique du harcèlement dans les transports. Il n’est pas facile de convaincre la direction de prendre en main ce sujet, notamment parce que peu de victimes de ce type d’actes les signalent. La direction craint que la communication sur un sujet comme celui-ci génère une augmentation du phénomène, et qu’une telle campagne de communication soit anxiogène.

Nous avons cependant, avec certains élus et élues, réussi à convaincre la direction de s’intégrer dans la campagne nationale de lutte contre le harcèlement dans les transports2, et nous avons pu afficher ses affiches de sensibilisation pendant un mois et demi, entre février et mars 2017.

Nous avons analysé les retombées sur nos réseaux sociaux de cette campagne de sensibilisation. Plus de 500 interactions ont été relevées sur nos réseaux sociaux, Twitter et Facebook, et ces messages ont tous été très positifs : « une campagne percutante », « merci pour cette campagne », etc. Ces messages montrent que nos usagerères et usagers sont heureux de voir que les opérateurs de transports ont pris conscience de l’ampleur de ce phénomène, alors qu’un opérateur de transport n’aime pas mettre en avant les difficultés et les défauts de son réseau. Nous nous sommes engagés à redéployer cette campagne tous les ans.

Affiche « Témoin » de la campagne nationale de lutte contre le harcèlement dans les transports créée par le Ministère des droits des femmes en 2015

Sandrine DARRIET

Le redéploiement de cette campagne est fortement défendu par Alain Juppé, qui s’est saisi de cette question.

La deuxième préconisation a été l’organisation de marches exploratoires, notamment sur un parc-relais.

Isabelle BELLUE

Nous avons programmé cette marche exploratoire la semaine prochaine, sur un parc-relais qui a été révélé par l’enquête, qui est pertinent pour l’organisation d’une première marche exploratoire, et pour acquérir de l’expérience dans ce genre de manifestation. Je remercie Madame Dagorn qui a su synthétiser la méthodologie complexe des marches exploratoires. Nous avons éprouvé des difficultés pour trouver des participantes à cette marche exploratoire, qui demande une mobilisation de quelques heures sur le terrain.

L’objectif de cette marche exploratoire est de lutter contre le sentiment d’insécurité ressenti par les femmes sur ce parc-relais. Les marches exploratoires peuvent donc explorer un lieu mais aussi une ligne de transport. Le réseau de Lyon a par exemple organisé une marche exploratoire de plusieurs jours sur une ligne de bus.

Les parcs-relais sont destinés aux utilisateurs des transports collectifs, qui sont les seuls à pouvoir y garer leur véhicule. L’objectif est qu'ils et elles y garent leur véhicule et n’utilisent que les transports collectifs dans la ville. Certains parcs-relais sont en surface, d’autres en bâtis, comme celui dont nous parlons. Ce parc-relais de la Butinière est mal éclairé, avec des ascenseurs mal placés et nous constatons une désaffection, notamment féminine, de ce parking. Nous souhaitons améliorer l’aménagement de celui-ci pour en augmenter le sentiment de sécurité.

Chris BLACHE, Coordinatrice de Genre et Ville

Ouvrir le schéma des marches exploratoires au-delà des aspects sécuritaires permet d’aborder d’autres sujets d’aménagement de l’espace public, liés au sentiment de plaisir ou à des services nouveaux qui pourraient s’y installer par exemple. Je vous invite donc à ouvrir le champ des questionnements lors de votre marche exploratoire.

Paul DAULNY

Lors de la précédente rencontre, nous avions consacré un focus aux différents types de marches exploratoires. Je vous invite donc à consulter le site internet de Genre et Ville pour une meilleure distinction des marches exploratoires et des marches sensibles, à consulter le compte-rendu de la précédente rencontre, et enfin le compte-rendu d’une rencontre thématique sur ce sujet au centre Hubertine Auclert en 20143.

Le compte-rendu de la rencontre Les marches exploratoires pour lutter contre le sentiment d'insécurité des femmes dans l'espace public publié par le Centre Hubertine Auclert en 2014

Sandrine DARRIET

Une campagne publicitaire Aubade dans les stations et les véhicules de Keolis est parue le même jour que notre étude. Par conséquent, nous souhaiterions, lors du renouvellement du marché publicitaire en 2018, ajouter une clause stipulant que le prestataire doit porter une attention particulière aux messages que nous souhaitons renvoyer aux usagers et usagères. Les affiches Aubade sont jolies, mais nous souhaitons éviter les messages stéréotypés. Nous essaierons de trouver un compromis, car les marchés publicitaires sont rentables pour le réseau.

La campagne nationale contient une affiche en direction des témoins, pour leur donner des conseils pour agir en cas d’actes de harcèlement, cependant nous n’avons pas encore engagé de véritable réflexion sur la manière selon laquelle on peut engager les témoins à réagir davantage.

Lors de la semaine européenne de la mobilité, la Métropole de Bordeaux choisit chaque année une thématique précise. Cette année, la thématique concernera les femmes et les déplacements, selon un choix du directeur de la mobilité. La semaine se déroulera du 16 au 24 septembre 2017. La journée du lundi se déroulera sur le campus universitaire avec la restitution de deux enquêtes, celle que nous venons de présenter, et une autre d’Yves Raibaud, un géographe, qui a travaillé avec les étudiantes du campus pour repenser son aménagement, ce qui inclut la question des transports.

Par ailleurs, le vendredi 22 septembre, nous organiserons une rencontre avec des universitaires et des urbanistes de partout en France, et même de Vienne en Autriche, autour de conférences.


Les réflexions en cours


Nous réfléchissons par ailleurs à la mise en place d’un numéro vert, en complément du 3919, le numéro national. Les associations bordelaises souhaitent la mise en place d’un relais local.

Nous souhaitons développer une application mobile de géolocalisation, pour rassurer les femmes. Cette application devrait comprendre la localisation des commerces qui pourraient servir d’abris.

Enfin, nous réfléchissons à l’instauration d’un système d’arrêt à la demande sur les lignes qui circulent la nuit, comme cela se fait à Nantes.


Echanges avec la salle


Paul DAULNY

Pour l’application mobile dont vous venez de parler, faites-vous appel à un partenariat extérieur ? Il existe des applications de ce type, développées par des entreprises.

Sandrine DARRIET

Cette application est développée par la direction des systèmes d’information de la Métropole.

Chris BLACHE

Le système d’arrêt à la demande expérimenté à Nantes n’a pas trouvé son public : peu de personnes l’utilisent. Cependant, l’existence de cette expérimentation est intéressante, parce qu’elle peut être rassurante pour les utilisatrices et utilisateurs, bien que les transporteurs y soient réticents car ils ont peur que cela perturbe la régulation. Le simple fait que ce système existe peut diminuer le sentiment d’insécurité.

Isabelle BELLUE

La Gazette des Communes a publié un article dans lequel la TAN (Transports de l'agglomération nantaise) explique qu’elle a choisi de ne pas communiquer massivement sur ce système, par conséquent seule une cinquantaine de personnes ont utilisé ce système4. Votre remarque me semble contradictoire avec cette information.

Chris BLACHE

Je suis étonnée de cet article, alors que la mise en place de l’expérimentation avait été accompagnée d’articles de presse et d’une visite ministérielle. Quoiqu’il en soit, ces pratiques sont longues à prendre effet, et il ne faut pas en déduire qu’elles sont inintéressantes.

Isabelle BELLUE

Le problème rencontré par les opérateurs pour lancer cette expérimentation est la sécurité routière : il est généralement interdit à un bus de s’arrêter en dehors des arrêts. On ne peut pas limiter ce système aux femmes, et en journée, les usagers risquent de tous et toutes demander un arrêt personnalisé. Nous pourrions expérimenter ce système sur quelques lignes précises, dans certains quartiers, à la nuit tombée. Mais Bordeaux, comme Toulouse, sont plutôt réticentes à faire cette expérience.

Paul DAULNY

Le STIF (Syndicat des transports d’Île-de-France) souhaite expérimenter le dispositif des arrêts à la demande. La Mairie de Paris soutient ce projet.

Question de la salle

Le 3919 était un numéro destiné aux violences conjugales avant d’être élargi aux violences faites aux femmes en général. Le numéro vert bordelais que vous évoquez est-il destiné à être réservé aux violences dans les transports, ou sera-t-il élargi aux violences faites aux femmes en général ?

Sandrine DARRIET

Le numéro serait mis en place en partenariat avec une association d’accompagnement des femmes victimes de violences en général. Cependant, le numéro serait a priori réservé aux violences et au harcèlement dans l’espace public, ce qui permet de confier ce numéro à des personnels spécialisés et formés.

Clémence PAJOT

Il n’est guère surprenant qu’une campagne de prévention des violences soit considérée comme anxiogène pour la population. Mais il est amusant de constater que dans les transports parisiens, au cours d’un trajet, on peut entendre plusieurs fois des messages sur les pickpockets ou sur les bagages abandonnés, qui sont très anxiogènes. Or, je pense qu’une campagne sur le harcèlement pourrait être rassurante en montrant que ce problème est connu et pris en compte.

Chris BLACHE

Une campagne de lutte contre les violences faites aux femmes avaient été initiée dans le métro parisien, avant que des attentats la relèguent au second plan. Genre et Ville avait été auditionné par le Haut Conseil à l’Egalité et nous avions préconisé de réfléchir à la mise en place de messages qui sortent des messages anxiogènes sur la sécurité, en proposant une notion de plaisir : lorsqu’un conducteur ou une conductrice demande aux voyageurs de sourire, l’ambiance dans le transport change nettement. Ce genre de message crée une connivence dans les transports et du lien social, ce qui pourrait favoriser l’intervention des témoins pendant les faits de harcèlement.

Jennifer ROBERT-COLOMBY, Femmes et Villes International

La compagnie de transports de Montréal a mis en place une campagne de messages positifs, pour favoriser le « mieux vivre ensemble ».

Une étudiante qui rédige un mémoire sur le métier de machiniste des bus à la RATP

Les conducteurs et conductrices de bus de la RATP sont souvent victimes d’incivilités et d’agressions. Or, la RATP leur recommande de ne pas réagir dans ce cas, et d’attendre l’intervention des personnels de sécurité. Par ailleurs, il semble que la RATP n’ait pas de réponse uniformisée, lorsque les conducteurs et conductrices demandent quelle conduite ils doivent tenir. Le réseau de transports de Bordeaux a-t-il une politique vis-à-vis de cette problématique et des formations à destination des conducteurs et conductrices ?

Isabelle BELLUE

Tous les conducteurs et toutes les conductrices du réseau bordelais sont formés à la gestion des agressions, des conflits et des incivilités dans le cadre de leur stage d’intégration. Ils reçoivent une formation théorique et pratique. Cette formation est mise à jour régulièrement. Nous leur demandons premièrement de ne pas envenimer les situations, de « lâcher prise », ce qui n’est pas facile car chaque personne réagit différemment à ces situations. Nous les formons également à reconnaître les signes avant-coureurs des situations de conflit, pour pouvoir les arrêter avant la violence.

Nous constatons heureusement peu d’agressions physiques. Les incivilités les plus courantes sont des insultes, des crachats ou des menaces. C’est pour ces cas-là que nous demandons aux conducteurs et conductrices de ne pas réagir.

Une étudiante qui rédige un mémoire sur le métier de machiniste des bus à la RATP

Existe-t-il une formation pour reconnaitre les faits de harcèlement ?

Isabelle BELLUE

Nous sensibilisons les conducteurs et conductrice à ces faits. En effet, ils et elles sont en charge de leur véhicule, et lorsqu’il y a un problème les usagers se tournent naturellement vers eux. Ils ont des outils d’interphonie à leur disposition pour appeler le centre de commande de sécurité qui appelle la police ou des équipes spécialisées du réseau selon l’ampleur de l’évènement. Les conducteurs et conductrices sont censés porter assistance aux usagers et usagères, et signaler les problèmes dans leur véhicule. Mais il n’est pas facile de trouver le bon niveau d’intervention.

1. HCEfh, Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun, 2016 ; disponible en ligne : https://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/avis-sur-le-harcelement-sexiste-et-les-violences-sexuelles-dans-les-transports-en-commun
2. La campagne et les visuels sont consultables en ligne : https://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/campagne-de-lutte-contre-le-harcelement-sexiste-et-les-violences-sexuelles-dans-les-transports
3. Centre Hubertine Auclert, Les marches exploratoires pour lutter contre le sentiment d’insécurité des femmes dans l’espace public, 2014 ; disponible en ligne : https://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/les-marches-exploratoires-pour-lutter-contre-le-sentiment-d-insecurite-des-femmes-dans-l
4. David Picot, « À Nantes, l’arrêt de bus à la demande fait timidement son chemin », La Gazette des communes, 25 janvier 2017 ; accessible en ligne (payant) : http://www.lagazettedescommunes.com/482398/a-nantes-larret-de-bus-a-la-demande-fait-timidement-son-chemin/

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